dimanche 14 mars 2010

RADIGUET ANTI-DADA

Pablo PICASSO. Portrait de Raymond Radiguet. 17 décembre 1920


Poète et journaliste précoce, Raymond Radiguet meurt très jeune, emporté à l’âge de vingt ans par la fièvre typhoïde (12 janvier 1923). Familier de Montmartre et du Montparnasse littéraire des années 1920, ami de Max Jacob et de Cocteau, Raymond Radiguet publie son premier poème dans Le Canard enchaîné en mai 1918, puis Les Joues en feu, recueil de vers, en 1920. En 1921, Les Pélicans, pièce loufoque en deux actes, est présentée au théâtre Michel.

Mais c’est avec la publication du Diable au corps, rédigé en grande partie au cours de l’été 1920, peu de temps avant la mort de l’auteur, en 1923, que Radiguet atteint une grande notoriété. Inspiré d’une aventure vécue sans doute à la fin de la guerre, Le Diable au corps est aussitôt suivi, en 1924, par Le Bal du comte d’Orgel. Ce roman « s’inscrit sous une triple égide littéraire » : Tristan et Yseult, La Princesse de Clèves et Les Liaisons dangereuses. Raymond Radiguet définissait Le Bal d’Orgel comme un « roman d ‘amour chaste, aussi scabreux que le roman le moins chaste. »

***
Ecrit en mai 1920, mois où paraissent les « vingt-trois manifestes du mouvement DADA » dans le treizième numéro de Littérature (1ère série), « Dada ou le Cabaret du Néant » a pour auteur le jeune Raymond Radiguet, qui envoie son article à André Breton et à Jacques Doucet. « Dada ou le cabaret du néant » resta inédit jusqu’en 1956, année où il paraît alors pour la première fois dans la revue Pensée Française (n°1, 15 novembre). Il fut republié en 1993 par Chloé Radiguet et Julien Cendres dans leur édition des œuvres complètes de Radiguet (Stock, pp. 405-406).

En évoquant « la pire bohème, celle des Incohérents » et en assimilant Dada au Cabaret du Néant (un établissement qui se situait au 34, boulevard de Clichy et dont les tables, entre autres raffinements, étaient constituées de cercueils), Radiguet exprime clairement, par son rejet de DADA et ses réserves quant à la valeur littéraire de Jacques Vaché dont le « suicide à l’opium » lui paraît « en dire long », une pensée qui ne laisse pas de surprendre, révélant un aspect jusque là méconnu de sa personnalité, bien éloigné de l’aura de scandale dont on le pare encore.

Dada ou le cabaret du néant

Je déteste la bohème, les farces me sont pénibles, et, pour ces deux raisons, le récit de la vie d'Alfred Jarry ne me transporterait pas d'aise. En ressuscitant la mystification, Dada se rapproche de la pire bohème, celle des Incohérents.

Dada est un cul-de-sac auquel mène le chemin Oscar Wilde-André Gide (la besogne démoralisatrice de Wilde et, beaucoup plus près, le Lafcadio d'André Gide). Les Dadaïstes chérissent secrètement le para­doxe. En société ils appellent cela : « le droit de se contredire ».

Si les Arts n'étaient pas forcément inoffensifs, de tous les dangers publics l'œuvre de Francis Picabia serait le pire. « Il a le diable au corps », cette locution s'applique admirablement à Picabia, qui, né destructeur, imagina de ridiculiser l'art en faisant de pseudo œuvres d'art.

Dada est une étiquette. Que contient le flacon ? Une boisson inof­fensive que les Dadaïstes essaient de nous faire prendre pour un poi­son mortel. Chez certains êtres faibles cette illusion suffit à procurer l'ivresse.

Jacques Vaché est un jeune homme mort en 1918. Les Dadaïstes le considèrent comme un précurseur. L'opium choisi par lui comme mode de suicide en dit assez long sur ses goûts littéraires.
Autour des hommes qui ont en eux une vérité nouvelle, se forment les écoles. Mais Mallarmé n'est pas mallarméen. Et le plus « dada » de tous n'est pas Tristan Tzara.

Je sais combien est odieux le jeu des comparaisons. Cependant, devant les excès des Dadaïstes, peut-on s'empêcher de penser au gilet rouge du romantisme ? Hugo, Vigny, Musset, Lamartine, ne sont pas les vrais romantiques. Les vrais, les purs, ce sont tous ceux dont on a oublié le nom.

Répondant à un article de Madame Rachilde, paru dans Comœdia, André Breton compare le Dadaïsme au Symbolisme qui eut, lui aussi, à subir bien des attaques. Mais des poètes que les Symbolistes véné­raient comme des maîtres furent justement ceux qui désapprouvèrent le Symbolisme : Mallarmé, Verlaine. N'est-il pas curieux de voir Dada, qui renie le passé, et se flatte de n'être pas une école, se comparer lui­-même au Symbolisme, une des rares écoles dont la France n'ait pas à s'enorgueillir (peut-être parce que de nombreux Symbolistes sont d'origine étrangère).

Mais, au fait, André Breton n'a-t-il pas raison, puisque dans quel­ques années les disciples de Tristan Tzara seront aussi démodés que la jeunesse sur qui le grand écrivain Maurice Barrès eut une si déplo­rable influence."