mercredi 3 février 2010

TZARA : NOTE SUR L'ART NÈGRE (Septembre 1917)



Janvier-février. Galerie Corray, Bahnhofstr., Zürich. 1. Dada-Ausstellung. Van Rees, Arp, Janco, Tscharner, Mme. Van Rees, Lüthy, Richter, Helbig, art nègre, Succès éclatant: l’art nouveau. Tzara fait 3 conférences: 1/cubisme, 2/art ancien et art nouveau, 3/l’art présent. Grande affiche de Richter, affiche de Janco. Quelques vieilles anglaises prennent soigneusement des notes.

Tristan TZARA. Chronique zurichoise.


« NOTE SUR L'ART NÈGRE »


L'art nouveau est en première ligne : concentration, angle de la pyramide vers le point du sommet qui est une croix ; par la pureté nous avons d'abord déformé, puis décomposé l'objet, nous nous sommes approchés de sa surface, nous l'avons pénétrée. Nous voulons la clarté qui est directe. L'art se groupe dans ses camps, avec ses métiers spéciaux, dans ses frontières. Les influences de nature étrangère qui s'entremêlaient sont les lambaux d'une doublure de la Renaissance encore accrochés à l'âme de nos prochains, car mon frère a l'âme aux branches aiguës, noires d'automne.

Mon autre frère est naïf et bon et rit. Il mange en Afrique ou au long des îles océaniennes. Il concentre sa vision sur la tête, la taille dans du bois dur comme le fer, patiemment, sans se soucier du rapport conventionnel entre la tête et le reste du corps. Sa pensée est : l'homme marche verticalement, toute chose de la nature est symétrique. En travaillant, les relations nouvelles se rangent par degrés de nécessité; ainsi naquit l'expression de la pureté.

Du noir puisons la lumière. Simple, riche naïveté lumineuse. Les matériaux divers, balances de la forme. Construire en hiérarchie équilibrée.

ŒIL : bouton, ouvre-toi large, rond, pointu, pour pénétrer mes os et ma croyance. Transforme mon pays en prière de joie ou d'angoisse. Œil d'ouate, coule dans mon sang.

L'art dans l'enfance du temps, fut prière. Bois et pierre furent vérité. Dans l'homme je vois la lune, les plantes, le noir, le métal, l'étoile, le poisson. Que les éléments cosmiques glissent systématiquement. Déformer, bouillir. La main est forte, grande. La bouche contient la puissance de l'obscurité, substance invisible, bonté, peur, sagesse, création, feu.

Tristan TZARA, «Note 6 sur l'art nègre», parue dans Sic, n°21-22, sept.-oct. 1917